Marcher sur la terre
Amina Saïd
en tout lieu
régnaient la nuit le rêve
en sa première forme
du ciel déraciné
naquirent le soleil et la lune
l’ombre la lumière
et la sève
et ce désir de créer
entre feu et larmes
le ciel déraciné
nous pûmes toi et moi
marcher sur la terre
le mot juste
frappe au coeur du coeur
l’horizon est patient
pour les marcheurs immobiles
battant leur démesure
nous avons déserté les villes
pour habiter l’espace
du seul cri
cercle de pierres nues
quelqu’un raconte
nos fables tristes
nous rallumons les braises
dans l’eau noire
brandissons nos mains coupés
vers l’asile du ciel
de quel pays venez-vous
demande-t-on
et où naîtront vos enfants
où serez-vous
lorsque sous le sourire
sanglant des nuages
ils checheront un sein de chair
tous les chemins
ramènent au même lieu
le voyage est cheval d’illusion
les braises du monde
noircissent son pas démesuré
elles brûlent
nos langues inquiètes
en lui-même
le poème se cherche
il est cette eau noire
qui nous éblouit
lorsque nous lui restituons
une lointaine lueur d’étoile
la nuit se pose sur le jour
de tous nos yeux
nous regardons la vie
l’amour nous invente
et parle le langage des sens
auréole de silence
en avant de nos lèvres
nous porte l’écho
d’un pays d’une enfance
cérémonie de la mémoire
d’une mer inconnue
nous rejoignons la rive
les vagues séparées
dissimulent leur tumulte
et toujours nous contiendrons
la nuit qui tombe en nous
comme un clou noir
dans la chair de la chair
cerné de toute part
le jour s’use à notre insu
il sculpte un masque unique
à notre visage secret
mon ombre reconnaît la tienne
ton ombre reconnaît la mienne
leurs doigts insoumis
fouillent les ténèbres
les regards échangés
ne peuvent appartenir qu’à la nuit
ombres gardiennes
à l’affût des miroirs
tels des oiseaux acerbes
elles déploient des ailes froissées
leur part nue effleure à peine
leur double nature
l’oiseau précurseur
symbole de ce qui devra être
assemble l’eau la terre
et le feu
un ange dans le jardin
mon père dit
je suis dans la banlieu de la mort
et le silence qui suit
n’arrête pas le temps
dans sa langue d’images
l’ange sait autrement
du coeur de l’obscur
il peut suivre les métamorphoses
de la lumière
et sa forme visible
continue d’exprimer
les nuages
qui de la lumière ou de l’astre
a tenu la nuit en haleine
tandis que nous volions les mots
à la joie et à son contraire
ainsi s’arrachent le jour à la nuit
et l’ombre à nos yeux
ils s’ouvrent une fois encore
renouvelant le miracle
saccagé
jeudi ou mercredi
à l’heure du crépuscule
un message à la main
un inconnu frappera à la porte
il jouera un moment
à éclabousser d’encre
la rose sur le bouvard
les taches formeront d’autres taches
(elles cultivent le cercle)
un visage sous la lampe
battra des cils
une femme prendra corps
celle que tu aimes
toujours la même toujours
différente
il y aurait ce corps de lumière
pour apprendre comment tenir
la mort à distance
de la course solaire
et du feu intouchable
naîtraient de nouveaux signes
un miroir qui se souviendrait
retrouverait en moi
ce que moi même ignore
sur la pierre heureuse
les jours s’emmêleraient
ce ne serait plus un visage
que j’aurais à chercher
une nouvelle fois
nous sommes encerclés de feu
l’astre déraciné
nous montre son clairvoyant visage
tel un feu
nourri d’un autre feu
une nouvelle fois quelque chose
bat en nous d’un désir de vie
quelque chose meurt en nous
et se couche au profonde d’une tombe
une nouvelle fois l’aube
en sa verité
nous coupe la parole
le monde autour de nous
épuise sa définition
Walking the Earth
Translation by: Peter Thompson
all around
night and dream reigned
in primal form
from an uprooted sky
sun and moon were born
shadow light
and sap
and this desire to create
amid fire and tears
the uprooted sky
we were able you and I
to walk the earth
the mot juste
strikes in the heart of hearts
the horizon is patient
for stilled walkers
keeping to the beat of their excesses
we abandoned villages
to settle in the space
of a lone cry
a circle of bare stones
someone recites
our sad fables
we rekindle our embers
in black water
brandish our severed hands
at the sky
what country are you from
someone asks
and where will your children be born
where will you be
when under the clouds’
bloody smile
they fumble for a fleshy breast
all paths
lead to the same place
journey is illusion’s horseback
the world’s embers
blacken its wanton footstep
they burn
our anxious tongues
within its form
the poem seeks itself
it’s this black water
that dazzles us
when we give it back
the far glimmer of a star
night settles over the day
we gaze full-eyed
upon life
love invents us
and speaks the senses’ language
aureole of silence
before our lips
bringing us the echo
of a childhood land
the memory ceremony
we regain the shore
of an unknown sea
waves in succession
dissemble the heaving
and we will gather always
the night falling within us
like a black nail
into flesh’s very flesh
ringed on every side
the day wears down unknown to us
it sculpts on our secret face
a singular mask
my shadow recognizes yours
your shadow recognizes mine
their rebel fingers
rifle the dark
looks exchanged
can only belong to night
guardian shadows
lying in wait for mirrors
like scolding birds
they unfurl rumpled wings
their formal shares barely touch
on their doubled nature
the precursor bird
symbol of what is to be
brings together water earth
and fire
an angel in the garden
my father says
I’m in the suburbs of death
and the silence that follows
cannot still time
in his image-language
the angel knows different
from the heart of the obscure
he follows the metamorphoses
of light
and his visible form
continues to express
the clouds
whoever has kept the night in suspense
for light or for a star
while we were stealing words
from joy and its opposite
in this way day is torn from night
and shadow from our eyes
they open yet again
renewing the pillaged
miracle
thursday or wednesday
at the twilight hour
a stranger
message in hand
will knock at the door
he will dally a moment
splattering ink
on the blotter’s rose
the stains will form other stains
(cultivating a circle)
a face under the lamp
will rapidly blink
a woman’s body will emerge
the one you love
always the same one always
different
there might be this body of light
for learning how to keep
death at a distance
out of the sun’s path
and the untouchable fire
new signs would be born
a mirror remembering itself
would rediscover in me
what even I don’t know
spread on the laughing rock
the days would blend together
and no face out there
for me to go seeking
once again
we’re surrounded by fire
the uprooted star
turns its clairvoyant face to us
like a fire
nourished by another fire
this new moment
something pulses in us with life desire
something dies in us
and stretches in the depths of a tomb
this new moment the dawn
in all its truth
takes our breath away
the world around us
exhausts its definition
Author Notes
Amina Saïd
Francophone poet, essayist, short story writer, and translator
Amina Saïd was born in Tunis to a Tunisian father and a French mother. Amina Saïd moved to Paris in 1979 and has lived there ever since. Her numerous poetry collections include Paysages, Nuit Friable (1980), Métamorphose de l’île et de la Vague (1985), and Marcher sur la Terre (1994).
Sources
Saïd, Amina. Marcher Sur La Terre: Poèmes. Editions de la Différence, 1994.
Saïd, Amina, et al. Walking the Earth. 1st english, Contra Mundum Press, 2024.